Le jouet face à ses enjeux

Bruno Bokanowski

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A partir de l’analyse des dernières évolutions du marché et des phénomènes capables de l’impacter, Damien Arrouas, directeur exécutif de NPD Group, dévoile les principaux enjeux de la filière et de sa distribution pour les années à venir.

 

Quelle est votre analyse des résultats du marché des jeux et jouets sur l’année 2019 ?

« Les bonnes performances du permanent ont malheureusement été suivies d’une saison un peu décevante. Le tournant s’est peut-être situé à partir du Black Friday car, même s’il faut encore relativiser son impact sur le niveau des ventes, celles-ci ont probablement fait défaut en fin d’année. Ces achats anticipés ont finalement pour effet de décaler la saison. En 2019 c’est vraiment la toute dernière semaine qui a permis de rattraper le marché pour lui permettre de terminer l’année sur une relative stabilité.

D’une manière plus générale, il faut surtout noter que le marché du jouet n’est désormais plus du tout linéaire comme il pouvait l’être auparavant, avec des hausses et des baisses assez limitées, car il existe désormais de nombreux et plus fréquents phénomènes exogènes susceptibles de l’impacter comme les blocages et les manifestations des Gilets jaunes, les grèves en fin d’année dernière et le confinement sanitaire aujourd’hui. »

Avec un peu plus de recul, quelles ont été les évolutions majeures du marché au cours de ces trois dernières années ?

« 2015, l’année où le marché a bénéficié du double effet de Star Wars et de La Reine des Neiges, a été un moment charnière pour la filière. En effet, c’est à partir de là que la distribution s’est résolument tournée vers une stratégie d’optimisation de ses rendements en référençant des gammes plus courtes, centrées sur les produits à plus forte valeur ajoutée et donc à rotation plus rapide. Plusieurs catégories de produits ont été touchées par ce phénomène sur lequel se positionnent également les circuits online. C’est désormais une tendance de fond qui touche l’ensemble de la filière et à laquelle les fournisseurs doivent s’adapter : moins de références, mais davantage de valorisation sur chaque référence. Pourquoi ? Parce qu’avec le recul de la natalité, le marché doit chaque année vendre plus pour atteindre un simple niveau de stabilité par rapport à l’année précédente. D’où la nécessité de rationnaliser dans un contexte économique plus serré. »

A l’inverse, quels sont les principaux enjeux du marché pour les années à venir ?

« Il y a actuellement plusieurs phénomènes émergents sur le marché. D’abord, l’éclosion de la population des kidultes, ces jeunes adultes encore très « joueurs » qui représentent toujours une grosse opportunité en termes de consommation, en particulier dans certains secteurs d’activités comme les jeux de société et les figurines où de nouvelles offres sont apparues pour tenter – souvent avec succès – de les séduire. Aujourd’hui, selon notre panel Consommateur, un jeu ou un jouet sur dix est acheté par une personne de plus de 15 ans.

Ensuite, l’économie responsable et citoyenne gagne de plus en plus de terrain. C’est une tendance sur laquelle la France est en pointe, d’une manière générale, en ayant notamment interdit la distribution en caisse des sacs en plastique à usage unique dès le mois de juillet 2016 ; alors que les Etats-Unis viennent tout juste de prendre cette décision. Dans le jouet, plus précisément, des fournisseurs majeurs commencent à communiquer sur ce sujet qui préoccupe les consommateurs, et tout particulièrement les parents de jeunes enfants comme le prouvent les résultats d’une récente étude menée au niveau international qui nous indiquent que 46 % des parents ont déjà décidé de renoncer à l’achat d’un jouet parce que celui-ci ne correspondait pas à leurs attentes en matière d’éco-responsabilité. C’est la première fois que nous posions cette question, et nous ne nous attendions pas à un chiffre aussi élevé !

Enfin, la collection continue à battre son plein. Il s’agit là d’une vraie tendance de fond qui ne montre aucun signe d’essoufflement à l’heure actuelle. Ce phénomène a commencé chez les filles, avant de se tourner vers les garçons avec la multiplication de gammes dédiées. Et pourtant, qui dit déballage dit emballage, ce qui est paradoxal par rapport à la tendance écologique que nous venons d’évoquer. Cela prouve bien, si besoin était, que c’est toujours l’enfant qui décide ! Quant à la préoccupation des genres, bien que toujours important, cela ne nous semble pas être aujourd’hui un sujet prioritaire pour l’avenir de la filière. »

Comment voyez-vous l’évolution de la distribution des jeux et jouets, et notamment des enseignes spécialisées ?

« Dans un marché comme l’Angleterre, que j’ai suivi au cours de ces dernières années, les spécialistes « physiques » ont su sensiblement monter en puissance sur le online en s’appuyant très solidement sur un vrai point fort par rapport aux pure-players : leur expertise du marché. Cela commence à être le cas en France avec le développement des stratégies multicanal des enseignes spécialisées qui devrait s’accélérer dans les années à venir. Cette évolution est inéluctable pour deux raisons : d’abord, parce qu’il est indispensable de s’adapter aux attentes des consommateurs ; ensuite, parce que cela permet de mieux résister à d’éventuels phénomènes exogènes, comme ce fut le cas des grèves hier, et du confinement sanitaire aujourd’hui.

Aujourd’hui, selon les données de notre panel Consommateur, le online réalise environ 27 % des ventes sur le marché français, pure-players et sites d’enseignes spécialisées et alimentaires confondus, contre 37 % en Angleterre et 41 % en Allemagne. La vente en ligne a donc encore du potentiel en France car les infrastructures s’y sont mises en place beaucoup plus tard que dans ces pays voisins. Les raisons ? Peut-être qu’avec les hypermarchés et les spécialistes, le maillage du territoire est plus important chez nous qu’ailleurs, et que les Français appréciaient tout simplement leurs magasins traditionnels !

Par ailleurs, le réseau des multi-spécialistes progresse assez sensiblement, même si son poids reste encore assez faible du fait qu’il ne couvre pas toutes les catégories de produits et se limite à un nombre relativement restreint de références. La situation est identique pour les enseignes de discount dont les ventes ont également progressé l’année passée, notamment parce que les fournisseurs – dans la plupart des pays européens – ont eu des stocks à écouler ces deux dernières années. Ils ont donc eu besoin, pour cela, d’élargir leur distribution aux discounters.

Aujourd’hui, face à la multiplication des réseaux de distribution, tous circuits confondus, les spécialistes n’ont pas d’autre choix que d’appliquer une vraie stratégie multicanal, ce dont ils sont bien conscients. L’exemple de l’Angleterre prouve que dès que les spécialistes actionnent ce levier, les résultats sont au rendez-vous. En France, la transformation a bien commencé, et chacun doit poursuivre dans cette voie pour rester compétitif. »

Dans ce contexte devenu très mouvant, comment ont évolué vos services ?

« Comme nous l’avons évoqué précédemment, le marché ne fonctionne effectivement plus sur son modèle linéaire d’antan. D’où l’importance de pouvoir s’adapter de manière optimale en fonction des différents aléas capables d’impacter la filière. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place une offre de prévisions en flux tendu permettant d’ajuster régulièrement son atterrissage, si besoin, en nous basant sur l’ensemble de nos données historiques et sur notre expertise du secteur du Jouet. L’objectif consiste à donner aux intervenants du marché, fournisseurs et distributeurs, des clés leur permettant d’anticiper toute situation imprévue et de mettre en place des variables d’ajustement en temps réel pour y faire face. Il s’agit d’un vaste chantier que nous sommes actuellement en train de tester pour être opérationnel dès la saison prochaine. »

Prenons l’exemple du confinement sanitaire actuel : quelles en sont les conséquences immédiates ?

« Il faudra prendre du recul pour en mesurer plus précisément l’impact, mais ce que l’on sait déjà, c’est que les achats d’impulsion représentent 30 % des ventes des magasins sur l’année et 43 % sur le permanent, que les cadeaux d’anniversaire pèsent 10 % du marché sur le permanent, que Pâques est le deuxième temps fort du marché et que la sortie de nombreux produits phares sera décalée. De plus, si le confinement est directement préjudiciable aux magasins obligés de fermer leurs portes, il ne sera pas non plus vraiment profitable à la vente en ligne qui ne compensera pas totalement les ventes de produits à petits prix. »

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